Tabliers d’autoroutes, parkings d’HLM, orée vague de la ville… Ce sont ces non-lieux, comme les appelle l’ethnologue Marc Augé, qu’aime à explorer Gauthier Sibillat au fil de ses photographies.
Vivant et travaillant à Strasbourg où il a fait ses études de beaux-arts, l'artiste se concentre essentiellement sur le paysage urbain.
Mais surtout pas le coeur historique des villes : ses images évoquent plutôt ce que l’on ne regarde pas de la cité, ces horizons où l’on n’aime guère traîner, ces terrains pleins de vague à l’âme. Fin de partie pour la nature: la ville nait doucement dans ses images, avec ses grands ensembles qui semblent parfois décors de carton pâte, ses banlieues plus tranquilles empêtrées dans la boue ou sous la neige.
« Je me sens plus à l’aise pour travailler dans ces lieux moins surveillés, moins controlés que le centre, analyse l’artiste. Ici quelque chose est possible: des situations surgissent comme des dérapages qui echappent au discours que la cité tient sur elle même, tel des lapsus visuels, révélateurs de la ville et des hommes qui y vivent ».
Attentivement composées, jouant souvent des textures naturelles de l’avant-plan pour laisser surgir au fond l’artifice urbain, ses photographies disent la limite entre le rural et l’urbain. Elles retiennent la leçon du paysage romantique, en le déportant vers le contemporain, mais aussi du photographe de la New Topography Lewis Baltz. Elles se détachent en revanche de l’objectivité allemande en refusant la frontalité et la froideur. Elles lui préfèrent l’émotion, celle de panoramas semblant inachevés, lisières grignotant peu à peu la campagne.
Dans son livre Stations, réalisé à Stuttgart, Gauthier Sibillat s’approche doucement de la ville, tel un animal sauvage. Pris dans le brouillard de l’aube, évoluant vers des maisons isolées, surgissant dans le pavillonnaire. Ronde furtive qui construit une anti-carte postale. L’homme est là, infiniment présent mais jamais de par son corps : présence sourde, vilain démiurge. Gauthier Sibillat intervient aussi parfois dans ces paysages, en y réalisant des mises en scène comme dans la série Auvents. Bizarrement posés, comme des sculptures inutiles, sur les auvents de maisonnettes transformés en socles improbables, des silhouettes semblent se fondre dans le décor. Elles regardent toutes vers le hors-champ, en une échappée belle qui rappelle l’absurdité d’un Erwin Wurm. Dans une autre forme de mise en scène, l’artiste intervient aussi parfois sur ses clichés par le biais de montages: discrets, ils tendent à renforcer la théâtralité un peu vaine du contexte urbain. «Délaissant les grands axes, j’ai pris la contre-allée», chante Bashung en préambule du livre consacrée à la série des Stations de Stuttgart. Contre-allée, la voie idéale pour explorer l’inconscient de la ville, ses pulsions incontrôlées.

Emmanuelle Lequeux